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Chapitre 62 : Scintillement
C'était un beau début d'après-midi d'été. Le soleil, bien haut dans le ciel, diffusait sa chaleur apaisante, adoucie par la brise, et les grillons crissaient, produisant une agréable musique. Sur les hauteurs de Mahora, à l'écart de l'académie vidée par les vacances d'été, se dressait le cimetière de la ville. Encadré par la verdure, rien ne venait perturber la paix et le silence sacré qui y régnait.
Pensif, un homme se tenait devant l'une des tombes.
- Yo, Akashi !
Le professeur leva la tête vers le collègue qui le hélait amicalement. Affublé des lunettes de soleil qui ne le quittaient jamais, une barbe soigneusement entretenue mangeant le bas son visage, et habillé de son habituel complet noir, un magicien de Mahora le rejoignit pour discuter.
- Tiens, Kataragi ...
- Déjà dix ans, hein , murmura Kataragi. Yûna a beaucoup grandi depuis. J'ai pu voir à quel point elle s'est investie lors du festival. Son entrain, elle l'a hérité de Yûko, sans aucun doute. Enfin, tu n'es pas tranquille, n'est-ce pas ?
- Quand je vois ce qu'il se passe en ce moment au monde magique, répondit le professeur Akashi, je me dis que lui apprendre la magie aurait été une meilleure idée. Avec l'état des ports-portails, impossible de connaître la situation ... En plus, lorsque les deux mondes sont séparés, l'écart temporel se creuse. Ici, cela fait deux semaines qu'ils sont partis, mais là-bas, c'est certainement deux mois ou plus qui se sont écoulés. Tout peut arriver dans ce laps de temps.
- Ne t'inquiète pas, le rassura son ami. Même si elle n'a pas appris la magie, Yûna reste ta fille. Elle est plus vaillante que tu ne l'imagines ... Et Negi, Setsuna, Yoru et les autres y sont aussi. Ça ira.
- Je l'espère.
Soudain, la sonnerie de son portable sonna, coupant court à la conversation. Le professeur Akashi le sortit de sa poche, curieux : un appel du directeur ? Il décrocha immédiatement.
- Kataragi ! C'est une urgence, s'exclama-t-il après quelques secondes, son regard se faisant inquiet au fur et à mesure que le directeur parlait. On rassemble tout le monde au bureau !
Les deux magiciens décollèrent, Akashi sur son balais, alors que son ami lévitait. Sur le chemin, le directeur donna quelques détails.
- L'Arbre-Monde ?! Il émet de la lumière ?! Impossible ! Son prochain scintillement doit avoir lieu dans vingt-deux ans ! s'écria Akashi, incrédule.
Ils s'arrêtèrent tout à coup devant l'arbre en question, stupéfaits. Le site sacré irradiait de la magie, et avec une telle puissance ! Même les non-magiciens sauraient le voir, dès la nuit tombée !
Le directeur avait une explication, une seule : il devait se passer quelque chose de l'autre côté, au monde magique. À l'ancienne Ostia.
- Impossible ... Le portail qui relie les souterrains de Mahora et Ostia est scellé, inutilisable !
Mais s'il avait été abandonné, il n'avait pas été détruit …
Quelques minutes plus tard, l'intégralité des magiciens restés à Mahora était rassemblée dans le grand bureau de leur supérieurs.
- Bien ! Personne ici ne l'ignore, les onze ports-portails du Monde magique ont été victimes d'attentats ! Depuis deux semaines, nous n'avons pu établir aucun contact avec l'autre côté. Nous ignorons tout de ce qu'il se passe … Mais le scintillement anormal de l'Arbre-Monde nous oblige à penser que les survivants de Cosmo Entelecheia sont derrière tout cela ! exposa le vieux magicien d'une voix forte.
- Les ennemis de Thousand Master … murmura une voix.
- Le monde parfait …
- Monsieur le directeur, intervint Gandolfini, un magicien à la peau mate. Êtes-vous certain de cela ? Takahata et ses collègues étaient censés nous en avoir débarrassés il y a dix ans.
- Les faits sont là, répliqua Konoemon Konoe. Nous aurions dû nous méfier. Nous pensions que les attentats visaient à isoler les deux mondes … Mais ils voulaient certainement mettre la main sur une quantité aberrante de magie !
Effectivement, en détruisant les autres ports-portails, il devait être capable de rediriger toute la magie qu'ils contenaient vers le dernier des passages, celui que la plupart des administrations croyaient condamné, voire irrécupérable, et qui se trouvait à Ostia. Lequel était, manque de chance, relié aux souterrains de Mahora !
- Ils ne peuvent avoir qu'une raison d'agir ainsi : reproduire les événements d'il y a vingt ans. S'ils y parvenaient, qui sait ce qu'il arriverait au campus via le portail … Nous devons nous préparer au pire. Il faut éviter d'être mêlé aux conflits du Monde magique ! Examinons toutes les possibilités, et préparons-nous au combat ! Nijûin, tu dirigeras une équipe d'investigation dans les sous-sols de l'Île Bibliothèque ! Akashi, prépare-toi à évacuer les habitants s'il le faut ! N'importe quel prétexte ira ! Gandolfini, tu contacteras les organisations magiques de chaque pays ! Tôko, explique la situation le plus clairement possible à l'association magique du Kansai !
- Compris !
Les magiciens se dispersèrent immédiatement pour remplir leurs missions respectives.
- Mais si nos ennemis sont bien de Cosmo Entelecheia … murmura Gandolfini.
- C'est un problème, continua pour lui Seruhiko d'une voix grave. Takahata n'est pas là, et sans lui, notre potentiel militaire s'effondre …
***
Pendant ce temps, en Angleterre, Ayaka, soucieuse, épluchait quelques dossiers. Elle les avait faits pour Asuna et Negi avant de partir : toutes les informations accessibles aux non-magiciens sur Nagi Springlfield et sa disparition y étaient rassemblées. Évidemment, elle ignorait la véritable identité de Negi et son père, mais elle commençait à se douter de quelque chose. Certains détails ne tournaient pas rond, notamment des histoire d'astronomie et de Mars …
Elle fut interrompue par Sakurako, qui lui tendait un téléphone : un appel du Japon, d'Evanveline plus précisément. Il était difficile d'imaginer sa taciturne camarade l'appeler, mais elle prit immédiatement l'appel.
- Eh bien, Evangeline, que me vaut cet appel ? Pardon ? Rentrer ? Mais … monsieur Negi et la moitié de la classe sont partis il y a deux semaines et ne sont toujours pas revenus …
Evangeline répondit immédiatement que le jeune professeur et ses camarades rentreraient directement au Japon. Inutile de les attendre.
Ayaka renonça à comprendre ce mystère et accepta de rentrer immédiatement.
***
C'était un endroit sombre. Parcouru de volutes de fumée noire, il était empli de sentiments négatifs. De haine. De bestialité.
Negi soupira, presque malgré lui. Combien de fois s'était-il retrouvé ici, dans les abîmes de sa conscience, depuis le début de cet entraînement ? Il devait maîtriser la bête. Se laisser enfermer ici n'était pas une option. Il se concentra, sur son corps, sur ses sensations. Il avait déjà réussi à sortir de lui-même une ou deux fois. Il y arriverait encore cette fois-ci ! Mais ce n'était pas suffisant. Il devait contrôler son corps, dominer la magia erebea.
Il n'avait pas le droit d'échouer. Une lueur apparut, lentement. Sans hésitation, il avança d'un pas décidé et s'en saisit fermement. Aussitôt, tout s'éclaira. Un peu.
Negi était sorti. Mais il ne contrôlait pas plus son corps.
Seulement, il n'avait plus le temps. C'était le dernier entraînement, les six dernières heures. Après, hors de la diorama, le Great Paru serait arrivé à niveau de la perturbation magique qui entourait le port-portail d'Ostia.
Il se concentra encore. Il ne pouvait pas laisser passer cette dernière chance. Makie, Yûna, Akira et Ako, ses chères élèves et amies, avaient tout fait pour le sortir de ses ténèbres. Elles avaient fait plus que leur part. Il ne pouvait pas laisser leurs efforts être vains.
Car, oui, pendant quatre jours, elles s'étaient relayées auprès de lui. Et elles avaient fait bien plus que le veiller. L'une après l'autre, pendant les trois soirs de son entraînement, elles étaient allées jusqu'au pactio, sauf Akira qui n'en avait pas eu l'occasion. D'abord, ce fut Ako, qui avait surpassé le fait que le Nagi qu'elle connaissait et aimait n'était qu'une illusion, Negi sous sa forme adolescente. Puis, ce fut le tour de Yûna, et enfin, Makie. Il avait d'ailleurs appris, avec beaucoup de surprise, que Makie l'aimait, bien plus sincèrement que ce que présageaient ses airs juvéniles.
Voilà pourquoi il ne pouvait pas abandonner. Au fur et à mesure, les paroles de ses camarades lui revinrent à l'esprit comme pour l'encourager.
Il avait beau avoir parfois honte de son côté sombre, il avait foi en les paroles de Satsuki. « Cela n'en reste pas moins votre force », lui avait-elle dit un jour.
Même s'il était traîné dans la boue, il devait toujours aller de l'avant. C'était l'enseignement d'Evangeline, celle-là même qui le combattait pour lui permettre de trouver la réponse à son problème.
Ne pas regarder en arrière. Rakan avait raison.
Ako elle-même, pleine de confiance, lui avait déclaré ceci : « Si tu es la personne que j'ai adorée … tu seras capable de tout ! Et surtout de rester toi-même ! ». La jeune fille le rassurait, alors qu'elle-même venait de découvrir que son amour était une illusion, une forme d'emprunt de Negi. Oui, il devait avoir confiance. Et s'il n'était pas le héros qu'il aspirait à être … il n'avait qu'à le devenir. Dès maintenant. C'était ce que Makie lui avait dit, après leur pactio.
« Deviens celui que tu dois être ». Une douce chaleur envahit Negi. Jamais il n'oublierait la voix de son père.
Evangeline frappa le monstre de sa lame de glace, l'ensis exequens. Cependant, contrairement à ce qu'elle imaginait, il ne s'effondra pas. Il fit demi-tour d'un seul mouvement, arma sa patte griffue de la même lame, et fondit sur la vampire avec un regard décidé.
Un regard humain, dénué de folie. Le petit s'était entièrement éveillé.
Une énorme explosion eut lieu.
Lorsque la poussière se dissipa, les deux combattants s'étaient arrêtés. Le démon était touché à la main, empalée par la lame de la vampire. Evangeline, elle, était touchée à l'abdomen. Une première.
- Bravo, petit … Mais c'est très inachevé. Tu as encore à faire, et on peut croire que la magia erebea peut reprendre le contrôle à tout moment.
- Je sais, reconnut Negi. Visiblement, je ne peux pas le contrôler seul. Donc j'irai de l'avant. Je sais qu'au moment venu je pourrai compter sur mes amis. L'ala alba trouvera certainement une solution pour m'aider !
Evangeline éclata de rire, surprise que son disciple ait enfin décidé de ne plus tout porter sur ses épaules.
- Aniki, ça s'appelle se décharger sur les autres, commenta Camo, qui observait avec Chisame de loin.
Negi continua sur sa lancée :
- Et puis, même si mon organisme finissait par se modifier pour de vrai, ce ne serait pas une si mauvaise chose. Je vous ressemblerais, maître, non ? Après tout, je vous apprécie beaucoup, continua-t-il en toute innocence sans se douter de ce qu'il disait.
La copie d'Evangeline rougit soudainement, avant d'invoquer à nouveau son ensis exsequens. Et elle se lança à l'attaque de Negi, en hurlant :
- Tu es quatre cent ans trop jeune pour prononcer ces paroles !!! Ne t'avise pas de répéter ça à la vraie moi !!
***
Lya sentit le vent jouer avec ses cheveux, mais pour une fois elle n'en tira aucune sensation de bien-être. Elle était trop inquiète pour Negi pour ressentir ce genre de choses.
Assis sur un tronc d'arbre à côté d'elle, conscient de l'état de sa dulcinée, Yoru l'attira contre lui. Il passa sa main dans ses mèches dorées, geste qui avait pour habitude de la calmer. Il fut très frustré de voir que pour une fois, cela ne fonctionnait pas vraiment !
Soudain, Lya se redressa vivement, un grand sourire étalé sur le visage. Elle attrapa sa carte de pactio et la porta à son front avec empressement.
- C'est vrai, Chisame ?! s'exclama la jeune fille d'une voix enjouée. Tu es sérieuse ?
Elle marqua un temps d'arrêt, surprise, avant de reprendre en pouffant :
- Après réflexion, ça ne m'étonne pas de sa part ! … Pardon ? … Euh … D'accord … Oui, moi aussi je suis curieuse de voir ça ! Mais bon, c'est du Negi tout craché, ça. Oui, à tout à l'heure. On sort dans une demi-heure ? C'est noté, on sera là à temps.
Elle fit disparaître sa carte avant de prendre la main de Yoru en souriant, et de lui expliquer que Chisame l'avait appelée par télépathie, avec leurs cartes de pactio.
- Negi a vaincu la magia erebea, apparemment. Ou du moins, il a réussi à retrouver le contrôle une fois, ce qui laisse présager qu'il peut s'en sortir correctement. Pour la petite histoire, raconta-t-elle en riant, Negi vient de se faire attaquer par Evangeline parce qu'il a dit qu'il l'appréciait beaucoup, je vais finir par croire que notre vampire préférée en pince pour lui mais refuse de l'admettre !
- Et ce qui t'a surprise à la fin ? demanda Yoru, curieux.
- Ah, ça ! Negi a dit qu'il voulait devenir ami avec Fate. Étonnant, hein ! Le pire c'est que si ça arrive, finalement, je ne serais pas si étonnée que ça. Negi a un don pour attirer les autres et les rallier à sa cause.
Yoru la dévisagea d'un regard ahuri, avant d'éclater de rire.
- Oui, effectivement, j'ai hâte de voir ça !
Il jeta un regard au ciel, pensif, puis reprit :
- Dis, maintenant qu'on est rassurés pour Negi, je voulais te poser une question …
- Mmh ?
- Tu sais, pour cette histoire de voyage dans le temps, je suis curieux de savoir comment tu as deviné, en fait.
- Oh, tu sais, j'avais pas mal d'indices, répondit Lya. En fait, j'aurais peut-être dû le voir venir plus tôt. Déjà, Arianna paraît toujours plus jeune qu'elle n'aurait dû l'être dans mes visions. Ensuite, il y a eu mes visions avec Alsia et ce tunnel de lumière. Aussi, on a la naissance de Xyn. Si j'étais vraiment née il y a quatorze ans, elle serait née à mes quatre ans et j'aurais forcément eu des souvenirs d'elle. Et bien sûr, ce que j'ai lu sur la magie du temps.
- C'est tout ? s'étonna Yoru d'un air dubitatif. Je ne vois pas trop de quoi penser à un voyage dans le temps …
- Non, il y a trois autres choses. Tu te souviens de la projection de Nagi créée par Albireo, au tournoi de Mahora ? Il m'a dit que mes parents étaient, je cite, sûrement encore en vie. Pourtant cette projection datait d'il y a dix ans, et si mes parents et moi nous étions séparés il y a seulement six ans, alors il n'y aurait eu aucun moyen pour qu'il soit au courant. Ensuite, le souvenir de Sayo. Tu te souviens ? Elle m'avait vue il y a dix ans, à Mahora, sauf que j'avais l'air d'une petite fille de huit ans. Ce n'était pas une erreur de sa part comme nous le croyions ! Même si j'aimerais bien savoir ce que je faisais à Mahora.
- Et la dernière chose ?
- Toi, déclara l'élémentale d'un ton affectueux. Avant le bal, j'ai eu une vision de quand j'avais trois ans. Mes parents revenaient d'un raid contre Cosmo Entelecheia, même si à l'époque j'étais trop petite pour le comprendre. Ils avaient ramené avec eux un tout petit nouveau-né, et disaient que malgré la réalité, qui faisait que la majorité des habitants de ce monde étaient illusoires, ils avaient encore espoir, pour ce monde comme pour cet enfant. Yoru, ça s'est passé il y a quinze ans, et c'est exactement ton âge. Je suis certaine que ce bébé, c'était toi ! Ça a achevé de me convaincre.
- Wow, quand j'y pense, ça fait bizarre de me dire qu'en vérité tu es censée avoir trois ans de plus que moi ! s'exclama Yoru en riant.
Lya éclata de rire et posa sa tête contre l'épaule de Yoru.
- Raté, je suis la plus jeune.
Ils restèrent un petit moment, comme cela, à discuter. Lya lui parla de sa mère et de son pouvoir, mais très vite la conversation dériva. Tous deux, pour les quelques minutes qui leur restaient, voulaient parler de tout et de rien, comme les adolescents qu'ils étaient, avec une insouciance qu'ils regrettaient un peu.
Yoru regarda sa montre avec un soupir résigné.
- C'est l'heure, on doit sortir …
Ils se levèrent et se dirigèrent vers le cercle de téléportation, désormais inquiets et graves. La contre-attaque allait commencer.
Illonya les regarda partir, de loin. Il abordaient une mine grave mais déterminée. Comment faisaient-ils ? Elle-même était terrorisée, par sa malédiction comme par Cosmo Entelecheia.
À peine eut-elle cette pensée qu'elle secoua la tête comme pour la chasser, fermant son poing tremblant. Inspirée par Arianna et Lya, elle avait dépoussiéré de vieilles techniques offensives de longue distance qu'elle avait remaniées et mêlées, s'entraînant sans relâche depuis la rencontre de l'ala alba avec Theodora. Comme Lya, elle avait ajouté une nouvelle approche à sa façon de combattre.
Elle réussirait à tirer son épingle du jeu, elle serait utile à ses camarades. Et seulement lorsque tout serait fini pour elle, elle disparaîtrait. Avant que la prophétie ne se réalise.
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